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Clément XIV
(Jean-Vincent-Antoine Ganganelli), est le 256e
'pape. Il a été élu le 19 mai 1769, et
est mort le 22 septembre 1774. Il était fils d'un médecin et il était
né le 31 octobre 1705, au bourg de San-Arcangelo, près de Rimini;
il commença ses études chez les Jésuites
de Rimini et les continua au collège des piétistes d'Urbino.
Le 17 mai 1723, il prit l'habit chez les franciscains et reçut le nom
de Fra Lorenzo; une année après, il fit profession solennelle. En 1731,
il obtint le grade de docteur en théologie et il fut envoyé à Ascoli
pour y enseigner cette science. En 1741, il fut chargé de la direction
du collège San-Bonaventura, à Rome, et nommé
définiteur général de son ordre; il refusa deux fois (1753, 1759) d'eu
devenir le général. Benoît XIV le fit consulteur
du saint-office; Clément XIII, cardinal
(24 septembre 1759).
Le 15 février 1769, treize jours après
la mort de Clément XIII, s'ouvrit le conclave
qui devait lui donner un successeur. Il s'y trouvait un certain nombre
de cardinaux impartiaux et deux partis extrêmes : les zelanti,
fauteurs ardents des Jésuites, et le parti des couronnes, décidé Ã
rendre la paix à l'Eglise, en donnant sa satisfaction aux puissances qui
réclamaient l'abolition de l'ordre des Jésuites. Dès l'ouverture du
conclave, les ambassadeurs de la maison de Bourbon
demandèrent qu'on attendît les cardinaux
espagnols et français. Malgré cette injonction, les zelanti s'efforcèrent
de hâter les opérations et de faire élire le cardinal Chigi; mais il
leur manqua deux voix, et ils durent se résigner à attendre les cardinaux
étrangers. Pendant trois mois, le conclave resta opiniâtrement divisé
et agité par les partis rivaux; finalement, il élut à l'unanimité le
cardinal Ganganelli.
C'était le seul moine du conclave ; il
avait, constamment gardé une attitude conciliatrice entre les zelantii
et le parti des couronnes; suspect d'abord aux cardinaux français, parce
qu'il était porté par les Albani, leurs adversaires, il n'avait été
admis par eux que sur la recommandation des cardinaux espagnols, qui l'avaient
agréé, non en conséquence d'an pacte formel, mais à cause de son caractère.
Il n'avait acheté sa nomination par aucun marché aliénant la liberté
du pape. L'existence du billet que ses ennemis prétendent avoir été
adressé par lui au roi d'Espagne n'est
pas démontrée. D'ailleurs, ce billet ne contient aucun engagement; Ganganelli
y déclare « qu'il recourait an souverain pontife le droit de pouvoir
éteindre en conscience la société de Jésus, en observant les règles
canoniques, et qu'il est à souhaiter que le futur pape fasse tous ses
efforts pour accomplir le voeu des couronnes ». Le droit dont il s'agit
ne pouvait être contesté par aucun théologien catholique,
et par les ultramontrains moins encore que par tous autres; le reste est
l'expression d'un simple souhait.
Le 13 décembre 1769, Clément adressa
aux pasteurs et aux fidèles une encyclique, qui était le programme de
son pontificat; il y recommande l'obéissance aux princes, le respect et
l'amour, et il déclare que le bien de l'Eglise
est inséparable de la paix des Etats. Le jeudi saint de l'année 1770,
il s'abstint de faire procéder à la lecture accoutumée de la bulle In
caena domini; il leva les excommunications prononcées aux termes de cette
bulle, contre les administrateurs du duché de Parme ( Clément
XIII); il réussit à apaiser le roi du Portugal, qui avait menacé
le précédent pape de supprimer la nonciature et de nommer un patriarche
pour ses Etats. Malgré l'incessante pression des puissances qui avaient
banni les Jésuites, il ne mit aucune hâte à l'instruction de la grande
cause relative à l'abolition de cet ordre; il y procéda lui-même, sans
confier à personne le résultat de ses délibérations, sinon peut-être
aux pères Buontempi et Francesco, deux religieux de son couvent des Saints-Apôtres,
qu'il avait gardés auprès de lui. Ce ne fut qu'après quatre années
de silencieux examen qu'il signa le bref d'abolition Dominus ac Redemptor
noster. Ce bref fut signé le 21 juillet 1773, mais il ne parut que
le 16 août.
Afin d'éviter toute apparence de satisfaction
livrée aux instances des ambassadeurs, il ne leur donna communication
du bref d'abolition, qu'après l'avoir fait expédier aux nonces et aux
évêques. A tous les remerciements qui lui furent adressés, il se contenta
de répondre qu'il avait agi pour le bien de l'Eglise.
Immédiatement après la promulgation,
Bénévent et Ponte-Corvo furent restitués au Saint-Siège; en décembre
1713, l'ambassadeur de France reçut l'ordre de traiter de la remise d'Avignon
et du comtat Venaissin. De leur côté, les partisans des Jésuites attendaient
le châtiment céleste qui devait frapper le pape coupable d'avoir aboli
cet ordre; les plus fanatiques annoncèrent sa mort prochaine, sur la foi
des visions de soeur Marie-Thérèse du Coeur de Jésus et de Bernardine
Renzi, divulguées par les confesseurs de ces femmes. Des rapports du cardinal
de Bernis, ambassadeur de France, écrits
longtemps avant la promulgation du bref Dominus ac Redemptor noster,
attestent que Clément avait le pressentiment que l'abolition de l'ordre
des Jésuites lui coûterait la vie. Plus tard, en signant le bref, il
avait dit : Questa suppressione mi dara la morte.
Quelques mois après cette signature, la
santé du pape, jusqu'alors vigoureuse, déclina rapidement. Quand il mourut,
la rumeur se répandit aussitôt qu'il avait été empoisonné. Le 26 septembre
1774, cinq jours après cette mort, le cardinal de Bernis
écrivait au ministre de Louis XVI :
«
Le genre de maladie du pape et surtout les circonstances de sa mort font
croire communément qu'elle n'a pas été naturelle [...]. Les médecins
qui ont assisté à l'ouverture du cadavre s'expriment avec prudence, et
les chirurgiens avec moins de circonspection. Il vaut mieux croire à la
relation des premiers que de chercher à éclaircir une vérité trop affligeante
et qu'il serait peut-être fâcheux de découvrir. »
Dans une dépêche du 26 octobre, le cardinal
est plus explicite ; il conclut à l'empoisonnement, et il écrit :
«
Les circonstances qui ont précédé, accompagné et suivi la mort du dernier
pape excitent également l'horreur et la compassion [...].On ne peut dissimuler
au roi des vérités, quelque tristes qu'elles soient, qui seront consacrées
par l'histoire. »
On a beaucoup écrit sur cette accusation,
les uns pour la soutenir, les autres pour la combattre; les uns et les
autres vraisemblablement avec une parfaite bonne foi. La décision des
débats de ce genre appartient aux tribunaux plutôt qu'à l'histoire.
Quand un empoisonnement n'a pas été constaté par une enquête judiciaire,
il peut presque toujours être nié. En ce qui concerne l'empoisonnement
de Clément XIV, une seule chose est certaine, c'est que ce pape était
convaincu que les Jésuites ou leurs adeptes étaient capables de le commettre.
Le caractère de Clément paraît avoir
été celui d'un Franciscain animé, autant
qu'il était possible au XVIIIe siècle,
de l'esprit de saint François d'Assise, épris
de simplicité, de recueillement et d'amour des oeuvres de Dieu dans la
nature. Avant son élévation, il prenait ses délassements dans l'étude
de la botanique et de l'entomologie et quelques exercices corporels. Devenu
pape, il continua à rechercher le silence et la solitude, ayant pour compagnie
préférée quelques religieux de son ordre. De tous les papes, il est
peut-être celui qui a le moins parlé, et l'un de ceux qui ont le plus
scandalisé Ies Romains par le mépris des pompes que ce peuple affectionne.
On lui doit la fondation du musée Clémentin
destiné à la conservation des monuments de l'Antiquité,
qu'on découvre fréquemment à Rome. Le seul
recueil de ses oeuvres qui puisse être consulté avec confiance est celui
du P. Theiner, Clementis XIV, pontiicis maximi, epistolae, brevia selectiora
ac nonnulla acta pontificatus... (Paris, 1852). Les Lettresintéressantes
(Paris, 1775, 2 vol. in-12), que Louis Caraccioli
lui attribue et qu'il prétend traduire, ont été pour la plupart composées
par le traducteur. Il en est de même des Nouvelles lettres intéressantes
du pape Clément XIV (Paris, 1776-1777, 3 vol.). (E.H.
Vollet). |
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