 |
Urbain Jean Joseph
Le
Verrier est un astronome né
à Saint-Lô (Manche) le 11 mars 1811, mort
à Paris le 23 septembre 1877. Fils d'un employé
de l'administration des domaines, il fit au collège de Saint-Lô de bonnes
études littéraires, les compléta par trois années de mathématiques
au collège de Caen et au collège Saint-Louis,
à Paris, échoua en 1830 aux examens de l'Ecole polytechnique, se représenta
en 1831, fut reçu parmi les premiers et choisit à sa sortie la carrière
des tabacs.
-
Urbain
Le Verrier (1811-1877).
A l'Ecole d'application du quai d'Orsay,
il s'adonna, dans le laboratoire de Gay-Lussac,
à des recherches de chimie, fit preuve tout de suite d'une grande habileté
comme expérimentateur et publia, dès 1835, dans les Annales de chimie
et de physique, une étude très remarquée sur les combinaisons du
phosphore avec l'hydrogène, suivie, en 1837, d'une seconde étude, non
moins importante, sur les combinaisons du même corps avec l'oxygène.
Pourtant, il n'avait pas encore trouvé
sa voie; les mathématiques l'attiraient, et il passait à approfondir
l'analyse infinitésimale les loisirs
que lui laissait le laboratoire. En 1836, il donna sa démission d'ingénieur
des manufactures de l'Etat, pour ne pas se rendre en province. ll lui fallut
pendant quelque temps se contenter d'une place de professeur au collège
Stanislas.
A la fin de 1837, il demanda, en même
temps que Regnault, la place de répétiteur
de Gay-Lussac à l'École Polytechnique; cette
place ayant été accordée à son compétiteur, il accepta celle de répétiteur
d'astronomie qu'on lui offrait comme
compensation. Conduit par les devoirs mêmes de sa fonction sur le seuil
de la mécanique céleste, il s'attaqua aussitôt aux problèmes les plus
ardus de cette science difficile, dont il fit dès lors son étude exclusive.
Premiers
travaux.
Au mois de septembre 1839, Le Verrier
présenta à l'Académie des sciences de Paris
un premier et remarquable mémoire intitulé Sur les Variations séculaires
des orbites des planètes.
Le Verrier
y démontre que, par suite de l'accélération séculaire du moyen mouvement
de la Lune ,
l'excentricité
de l'orbite terrestre est décroissante, qu'elle continuera à diminuer
pendant environ 24,000
ans et qu'ensuite elle augmentera; que les excentricités et les inclinaisons
des orbites des planètes sont petites et qu'elles resteront toujours petites.
Ces résultats, avec l'invariabilité des grands axes des orbites des planètes
et celle de leurs moyens mouvements, constituent la stabilité du Système
solaire .
Marchant ainsi dans la voie ouverte par Laplace,
mais au moyen d'arguments nouveaux et avec plus de rigueur qu'on ne l'avait
encore fait, que le Système solaire est stable parce qu'il ne fait qu'osciller
autour d'une position moyenne, il confirmait donc les conclusions de son
prédécesseur en démontrant que les amplitudes des oscillations sont
petites, et qu'il existe deux régions de moindre stabilité qui correspondent
aux orbites de Mercure
et des astéroïdes .
Quelques semaines plus tard, il indiquait
dans un second mémoire les limites numériques entre lesquelles doivent
osciller les excentricités et les inclinaisons mutuelles des orbites des
planètes .
Ce brillant début attira sur lui l'attention
d'Arago. D'après les conseils de l'illustre astronome,
il entreprit la révision des tables
de Mercure et il en publia en 1843 de nouvelles, bien supérieures comme
clarté et comme précision à celles de ses devanciers. Il s'occupa ensuite
des comètes
périodiques, qui étaient alors à l'ordre du jour, examina minutieusement
les perturbations
des deux comètes découvertes en novembre 1843 par Faye
et en août 1844 par de Vico, et prouva qu'à l'encontre
de certaines suppositions la première, dont il donna du reste une théorie
complète, n'avait rien de commun avec celle de Lexell
(1770), ni la seconde avec celle de Tycho (1585).
Ces derniers travaux lui ouvrirent les portes de l'Académie
des sciences : le 19 janvier 1846, il fut élu membre de la section
d'astronomie en remplacement de Cassini. Si l'on
analysait tous ses mémoires,
"il y faudrait,
dira J. Bertrand dans l'Éloge de Le Verrier, louer uniformément
la même puissance de travail, le même succès dans le choix des méthodes,
la même prudence à ménager des vérifications ".
Le
Verrier et la découverte de Neptune.
Le Verrier n'était connu encore que du
monde savant; il allait devenir populaire. Sur les instances d'Arago,
il avait repris, avec Uranus ,
l'oeuvre de révision des tables
planétaires si heureusement commencée avec Mercure. La tâche n'était
pas aisée. Uranus faisait depuis longtemps le désespoir des astronomes.
Ses positions réelles étaient en désaccord croissant avec celles qu'indiquaient
la théorie, et l'hypothèse de l'existence d'une huitième planète de
grande dimension, qui devait produire par son attraction les perturbations
signalées, avait été émise à diverses reprises par Bouvard,
notamment, en 1821, et par Bessel,
en 1840, qui avait écrit à Humboldt
:
"Je pense
qu'un moment viendra où la solution du mystère d'Uranus sera peut-être
bien fournie par une nouvelle planète".
Le Verrier se convainquit vite, en dressant
de nouvelles éphémérides, de l'exactitude
de cette idée, et il résolut de déterminer par le calcul la position
de la planète perturbatrice. Dès le 1erjuin
1846, il pouvait annoncer à l'Académie des Sciences qu'il existait bien
une planète plus éloignée du Soleil
qu'Uranus responsable des anomalies observées dans les mouvements de celle-ci,
et le 31 août 1846, il annonça publiquement à l'Académie quelle
serait sa place dans le ciel le 1er janvier.
Trois semaines après, le 23 septembre,
l'astronome Galle, de Berlin,
qu'il avait engagé, dans une lettre reçue le matin même, à commencer
des recherches en s'aidant des excellentes cartes
construites par son observatoire, la rencontra à cinquante-deux minutes
(0°52') du point indiqué. Galle écrivit
sobrement à Le Verrier :
"La planète
dont vous avez signalé la position existe réellement."
Le lendemain, l'astronome
berlinois reconnut en outre que cet astre se mouvait comme cela avait été
annoncé. Arago, qui, un an auparavant, avait vivement
engagé Le Verrier à rechercher la troublante (= planète perturbatrice)
d'Uranus, prononça cette phrase caractéristique, après avoir lu Ia lettre
de Galle à l'Académie des Sciences :
"M. Le Verrier
vit le nouvel astre au bout de sa plume".
Pendant plusieurs mois,
les articles les plus élogieux sur cette découverte furent publiés par
les recueils scientifiques. On pensa un instant donner à la nouvelle
planète le nom de Le Verrier, mais on l'appela définitivement Neptune.
La sensation que produisit cette découverte,
« au bout de la plume », d'un astre distant du Soleil
de plus de 4,5 milliard de kilomètres, fut immense et son auteur reçut
de toutes parts les témoignages d'admiration les plus flatteurs. Les académies
étrangères se l'associèrent; les souverains le couvrirent de croix;
Louis-Philippe le nomma d'emblée officier
de la Légion d'honneur, sans qu'il ait été chevalier, et lui confia
l'éducation scientifique du comte de Paris; une chaire d'astronomie fut
créée exprès pour lui à la faculté des sciences de Paris
et il fut attaché comme astronome adjoint au Bureau des longitudes; enfin
son buste fut exécuté par ordre du ministre de l'instruction publique.
La priorité de la découverte lui fut,
toutefois, un instant contestée. En Angleterre,
un jeune et habile étudiant de l'université de Cambridge,
J.
C. Adams, avait entrepris en effet dès 1844, au sujet des perturbations
d'Uranus, des recherches théoriques qui l'avaient conduit un peu avant
Le Verrier à déterminer par le calcul la planète
perturbant le mouvement d'Uranus. Il avait communiqué les éléments
de cette planète dès septembre 1845 à Challis,
et en octobre 1845 Ã Airy; mais son travail, dont
les conclusions concordent avec celles de Le Verrier, ne fut pas publié
par les deux astronomes qui le reçurent. II est d'ailleurs bien établi
que Le Verrier et Adams avaient fait leurs calculs sans que chacun d'eux
connût les travaux de l'autre. La Société
royale de Londres, appelée à se prononcer,
partagea entre eux la médaille Copley.
-
Le
Verrier découvrant Neptune.
Le
Verrier et le monde terrestre.
En 1849, les électeurs du département
de la Manche envoyèrent Le Verrier à l'Assemblée législative. Après
quelques hésitations sur son orientation politique, il prit résolument
parti pour l'Elysée (Louis-NapoléonBonaparte).
Il ne se fit remarquer du reste que dans les commissions, éloigné qu'il
était de la tribune par son défaut absolu d'éloquence, et il ne s'y
occupa guère que des questions d'enseignement ou d'ordre scientifique.
En 1850, il fut chargé du rapport sur le projet de loi relatif à la construction
des lignes télégraphiques; il prit part ensuite à l'élaboration des
diverses propositions relatives à la réorganisation de l'Ecole polytechnique,
au recrutement des ingénieurs des ponts et chaussées, à l'organisation
de l'enseignement professionnel. Après le coup d'Etat, il fut nommé sénateur
(janvier 1852), inspecteur général de l'enseignement supérieur, membre
du conseil de perfectionnement de l'Ecole polytechnique (1854). En ces
deux dernières qualités, il s'efforça d'imprimer aux études scientifiques
une direction nouvelle, de leur donner un caractère plus restreint et
plus « pratique ». Son influence ne fut pas heureuse; les innovations
qu'il était parvenu à faire accepter produisirent de fâcheux résultats,
dans les lycées aussi bien que dans les grandes écoles, et, après un
essai de quelques années, elles furent, à la demande générale, complètement
abandonnées. Il assouvit alors sur l'Observatoire
de Paris son besoin de réformes.
-
Après la mort d'Arago,
Le Verrier avait été appelé à la direction de cet établissement (janvier
1854). Il s'empressa de le soustraire au contrôle du Bureau des longitudes
(dont il était désormais membre titulaire), et il proposa toute une réglementation
nouvelle, qui modifiait non seulement l'organisation administrative, mais
encore la nature et le mode des observations. Il s'agissait en général,
il faut bien le reconnaître, de réelles améliorations, et les méthodes
qu'il préconisait marquaient un véritable progrès. Il fit également
établir un utile catalogue de 306 étoiles
fondamentales. Malheureusement, il manqua tout à la fois, dans l'application
de ses réformes, de mesure et de tact. Autoritaire et agressif, il régna
pendant quinze ans à l'Observatoire en odieux despote et, par ses procédés
intolérables d'administration autant que par ses attaques irrégulières
contre ses confrères, ameuta contre lui et le monde savant et l'opinion
publique. Une enquête fut ordonnée, un comité de surveillance lui fut
adjoint. Rien n'y fit. Les protestations, de nombreuses qu'elles étaient,
devinrent unanimes, et l'Institut, où il provoquait à tout propos d'orageux
incidents, se joignit, pour réclamer une mesure énergique, au personnel
de l'Observatoire et à la presse. Le 5 février 1870, il fut enfin révoqué
et remplacé par Delaunay.
Après la guerre, Le Verrier reprit son
cours à la faculté des sciences de Paris.
Le 13 février 1873, Delaunay étant mort, Thiers
le rappela à la direction de l'Observatoire; mais ses pouvoirs furent
tempérés par l'institution du « Conseil de surveillance ». Dans ces
conditions, son retour fut assez bien accueilli, même par la presse républicaine,
qui consentit à oublier le politicien antilibéral et l'administrateur
insociable pour ne se souvenir que du savant de premier ordre et du travailleur
infatigable. Il gardera ce poste jusqu'Ã sa mort.
Les
autres travaux de Le Verrier.
La fameuse découverte de Le Verrier n'avait
été qu'un incident dans sa carrière scientifique. Il avait entrepris,
on l'a vu, à l'instigation d'Arago, la révision
complète des tables des mouvements
planétaires. II poursuivit jusqu'au bout la réalisation
de ce gigantesque
travail, reprit toutes les observations, refit tous les calculs et donna,
pour chaque planète, de nouvelles tables, qui laissaient loin derrière
toutes celles construites avant lui et qui furent adoptées non seulement
par la Connaissance des Temps, mais aussi par le Nautical Almanac.
II en corrigea la dernière épreuve le 1er
septembre 1877, trois semaines avant sa mort. Il y avait consacré plus
de trente-cinq années d'un labeur acharné et presque ininterrompu.
Ses autres travaux sont de moindre importance.
Nous avons déjà signalé ses recherches sur les comètes périodiques.
Il prouva à cette occasion que la trajectoire
de ces astres peut devenir elliptique et se transformer en hyperbole. Il
formula plus tard, avec Schiaparelli, au
sujet des pluies d'étoiles filantes ,
l'opinion selon laquelle ce phénomène météorique était dû à la transformation
de certaines comètes périodiques dont la masse se serait éparpillée
dans le voisinage du Soleil
en un immense courant continu de forme parabolique. Un point de vue qui
a reçu confirmation depuis.
Pour ce qui concerne Mercure, Le Verrier
a essayé (1859) de rendre compte des inégalités dans son mouvement en
invoquant, comme il l'avait fait pour Uranus,
mais cette fois sans le même succès, la perturbation
par une autre planète à découvrir.
Pour la
théorie des mouvements de Mercure, les astronomes avaient remarqué qu'il
ne suffit pas de tenir compte des perturbations produites par les autres
planètes, notamment par Vénus .
Le Verrier, qui aborda cette question en 1842, y revint en 1859, et, d'une
savante discussion, il conclut que l'on doit admettre l'existence d'un
groupe d'astéroïdes entre Mercure et le Soleil. Alors, H.
Faye recommanda d'observer les régions voisines du Soleil pendant
les éclipses ,
et Lescarbault, médecin à Orgères, écrivit
à Le Verrier qu'il avait vu le 26 mars 1859 un disque noir passer devant
le Soleil, R. Wolf, de Zurich, écrit en 1876 Ã
Le Verrier qu'il a vu une tache ronde passer sur le Soleil. Le Verrier
discuta huit passages d'une telle tache et conclut à l'existence d'une
nouvelle planète (Vulcain) qui devait passer devant le Soleil en 1877.
D'Oppolzer discuta aussi ces huit passages
et détermina l'orbite d'une planète devant passer sur le Soleil en 1879.
Mais aucun des passages annoncés n'a eu lieu.
Le Verrier s'est enfin beaucoup occupé de
la création en France du service météorologique d'avertissements aux
ports de mer et aux cultivateurs. C'est sous sa direction qu'a été commencée
la construction de la grande lunette de 17 m de foyer.
Dans les dernières années de sa vie,
bien qu'il fût très souffrant, il prenait à peine le temps de reposer
son esprit, parce qu'il voulait terminer le travail immense qu'il avait
entrepris en 1849, consistant en une théorie complète des mouvements
des planètes. De celles de Mercure ,
Vénus ,
la Terre
et Mars
qui ont des points communs, il conclut que l'on doit diminuer les nombres
exprimant la distance de la Terre au Soleil et la vitesse de la lumière
: les nombres qu'il a proposés ont été confirmés par l'observation
des passages ,
en 1874 et en 1882, de Vénus sur le Soleil
et pour les travaux de Fizeau et de Cornu.
De 1872 a 1874, Le Verrier a publié sur Jupiter ,
Saturne ,
Uranus
et Neptune
d'importants Mémoires pour lesquels, en février 1876, la Société
royale d'Astronomie de Londres.
Peu de temps après avoir donné les derniers
bons à tirer de ce travail, le 23 septembre 1877, jour anniversaire de
la découverte de Neptune, il succomba à Paris
à une longue et douloureuse maladie. Il était depuis 1863 grand officier
de la Légion d'honneur. Il avait été, sous le second Empire, en même
temps que sénateur, membre et président du conseil général de la Manche.
Parmi les appréciations portées sur Le Verrier, l'une des plus frappantes
est celle d'Airy qui l'a appelé "le géant de
l'astronomie moderne". Une statue en bronze
lui a été élevée en 1889, par souscription, en face de l'Observatoire
de Paris. (L. Sagnet / E. Lebon).
 |
En
bibliothèque. - Les écrits de Le
Verrier ne comprennent guère que des mémoires et des notes parus dans
les Comptes rendus de l'Académie des sciences de Paris (1889-1876),
dans la Connaissance des Temps, dans le Journal
de
Liouville,
et surtout dans les Annales de l'Observatoire de Paris. C'est dans
les t. I Ã XIV, 1re partie (1856-1877, in-4), de cet important recueil,
qu'il a fondé en 1855 et dont il e été jusqu'à sa mort le principal
rédacteur, qu'on trouvera les résultats de son admirable travail sur
la théorie des mouvements des planètes. Le t. I renferme également le
fameux rapport sur la réorganisation de l'Observatoire. La 2e partie,
dont le 1er volume date de 1838, ne contient que des observations.
Quelques-unes
de ses plus importantes études ont aussi été publiées à part
: Mémoire pour la détermination des inégalités séculaires des planètes
(Paris, 1841, in-8); Théorie du mouvement de Mercure (Paris, 1845,
in-8); Recherches sur les mouvements de la planète Herschel (Paris,
1846, in-8); Mémoire sur les variations séculaires des éléments
des orbites pour les sept planètes principales (Paris, 1847, in-8);
Examen de la discussion soulevée au sein de l'Académie des sciences au
sujet de la découverte de l'attraction universelle (Paris, 1869, in-4),
etc. |
|
|