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L'Eocène
est la période du Paléogène, qui fait suite
au Paléocène (il y a 55,8 millions d'années, et qui précède l'Oligocène
(il y a 33,9 millions d'années). Cette période se développe sous deux
aspects bien différents, suivant qu'on l'observe dans le Nord de l'Europe
ou dans les régions méditerranéennes. Dans le premier cas, il comprend
une série variée de dépôts alternativement marins, saumâtres et lacustres,
attestant que le sol, pendant toute sa durée, a été soumis à de nombreuses
oscillations; dans le second on voit se poursuivre sur de vastes étendues
et à toutes les hauteurs de cet étage de puissantes assises calcaires
remarquablement fossilifères et à la construction desquelles les Nummulites
ont pris une si grande part qu'on applique à l'ensemble des dépôts éocènes
de ces régions le nom de terrain nummulitique. De plus, alors que dans
le Nord les premiers dépôts de cet âge franchement détritiques, c.-à -d.
sableux, s'observent nettement discordants et transgressifs sur les terrains
sous-jacents, dans le Sud il s'établit, entre les formations nummulitiques
et les calcaires crétacés, une continuité si remarquable qu'il devient
difficile de reconnaître une ligne de séparation entre les deux. Il y
a donc lieu, dans l'étude de ce terrain, de mettre en comparaison un type
franchement marin propre aux régions méridionales et caractérisé par
le développement des Nummulites, avec un faciès mi-partie marin, saumâtre
ou lacustre propre Ă l'Europe septentrionale et dont le meilleur type
doit ĂŞtre choisi dans le Bassin parisien.
Caractères
généraux de la faune et de la flore éocènes
Quoi qu'il en soit de
ces variations, la faune marine éocène reste
caractérisée, dans son ensemble, par la prédominance marquée, chez
les Gastéropodes, d'un certain nombre de
genres, au milieu desquels ceux qui fournissent le plus d'individus et
d'espèces sont des Cérithes, représentés aussi bien par les formes
richement ornées qui se tiennent dans les eaux marines, que par celles
désignées spécialement sous le nom de Potamides qui fréquentent les
estuaires ou les lagunes saumâtres. Les Lamellibranches
déploient aussi à cette date, dans les dépôts littoraux, une extrême
variété avec les genres Cardita, Cardium, Crassatella, Cytherea, Corbula,
Lucina, etc., tandis que les Cyrènes abondent dans les eaux saumâtres.
Dans les calcaires on rencontre un certain nombre d'oursins assez caractéristiques
tels que Echinolampas, Echinanthus. C'est ensuite dans les sables qu'il
faut venir chercher les dents des Squales de l'époque (Lamna, Otodus)
et des Raies (Myliobates).
Les Nummulites
ensuite n'ont pas le privilège d'être les seuls Foraminifères
caractéristiques de l'Eocène; il est dans les assises du calcaire
grossier de l'Eocène moyen des bancs entiers qui sont constitués par
les minces et très petites coquilles des Millioles,
semblables à un grain de millet; des Alvéolines en forme de fuseau peuvent
ensuite jouer un grand rĂ´le dans les terrains nummulitiques. Dans les
formations lacustres, on voit apparaître toutes les coquilles bien connues
des Mollusques d'eau douce, Unio, Paludine,
Physe et Limnée; celles terrestres, de Helix, des Pupa et des Cyclostomes
ne sont pas moins fréquentes. C'est aussi avec l'Eocène que commence
à bien se manifester le développement des Mammifères.
Les Pachydermes alors dominants sont représentés par des animaux nageurs
analogues au Tapir, tels que le Coryphodon des argiles Ă lignites, le
Lophiodon du calcaire grossier, le Paleotherium et le Xiphodon du gypse
parisien, pour ne citer que les principaux. Dans les assises inférieures,
les premiers Mammifères éocènes sont encore des Marsupiaux
(Arctocyon).
Quant Ă la flore,
au début elle présente encore un caractère mixte, c.-à -d. une persistance
de quelques formes crétacées au milieu d'espèces
franchement tertiaires et de genres nouveaux, parmi lesquels il faut placer
une vigne dont les feuilles sont bien voisines de celles des espèces américaines.
Ensuite, quand vers le milieu de l'époque (Eocène moyen) la grande mer
nummulitique vient envahir l'Europe, il s'établit,
dans le climat, une modification qui permet Ă des Palmiers et Ă des Cocotiers
de prospérer dans le Bassin parisien, aussi bien qu'en Angleterre. La
flore dès lors revêt un aspect africain, et l'Europe se trouve soumise,
avec une température moyenne de 25°C, au climat le plus chaud qu'elle
ait connu pendant la durée de tous les temps tertiaires; et c'est dans
de pareilles conditions que l'Eocène s'achève, sans qu'il soit encore
question du refroidissement polaire, cette flore éocène, avec son caractère
africain, se poursuivant dans les régions arctiques sans subir de modifications
sensibles.
Divisions
de l'éocène
L'éocène comporte
une division bien nette en quatre étages, qui, dans le Bassin parisien,
se présentent chacun constitué ainsi qu'il suit :
-
Yprésien
55.8
Ma |
Sparnacien |
Sables
supérieurs du Soissonnais
(sables
de Cuise Ă Nummulites planulata). |
Illerdien |
Argile
plastique et lignites
(formation
lagunaire). |
Cuisien |
Lutétien
(étage supérieur = Biarritzien)
48.6
Ma |
Calcaire
grossier. |
Bartonien
40.4
Ma |
Lédien
(divisé en Auversien et Marinésien) |
Calcaire
lacustre de saint-Ouen.
Sables
de Beauchamp. |
Ludien |
Priabonien
37.2
Ma |
Ligurien |
Masse
principale du gypse parisien. Marnes marines infragypseuses Ă Pholodomya
ludensis. |
L'Yprésien
correspond à l'Eocène inférieur; le Lutétien et le Bartonien, à l'Eocène
moyen;
le
Priabonien, à l'Eocène supérieur. Les nombres en orange
indiquent le début de chaque étage.
On voit par suite
combien ont été nombreuses, pendant toute la durée de l'Eocène, les
oscillations du Bassin parisien qui, bien souvent, après avoir passé
par une phase lagunaire, a vu sa surface couverte de lacs,
entourés de la végétation tropicale indiquée plus haut. L'emplacement
des mers aussi beaucoup varié; c'est à l'époque du calcaire
grossier supérieur que vient se placer le maximum d'extention des eaux
marines éocènes. Il importe alors de remarquer que ces alternances, maintes
fois répétées, de couches massives et de dépôts lacustres qui deviennent
le trait caractéristique de toutes les formations tertiaires dans le Nord
de l'Europe correspondent Ă des mouvements oscillatoires
très lents et de faible amplitude; le niveau des lacs est toujours resté
peu élevé au-dessus de celui de la mer, et il
a suffi d'un affaissement très faible pour que cette dernière puisse
facilement reprendre possession de son domaine, sans violence, par suite
d'une pénétration lente, dans l'intérieur des terres;
si bien que tous les dépôts formés dans des conditions si diverses se
superposent par couches horizontales, sans traces de discordances.
L'absence de mouvements violents dans ce retour des eaux marines est de
plus attestée par ce fait que le plus souvent ce sont des formations calcaires
qui viennent se superposer aux dépôts lacustres.
Dans les régions
méridionales où cette lutte constante de la mer
avec la terre ferme est loin d'avoir été réalisée,
les étages moyen et supérieur correspondent à la majeure partie des
calcaires nummulitiques, l'étage inférieur lui-même, de composition
très différente, est représenté par un ensemble de dépôts qui peuvent
être les uns franchement marins; les autres saumâtres, et constitués,
comme en Istrie, par une puissante formation lignitifère, mais toujours
très puissants et en continuité absolue, aussi bien avec les calcaires
nummulitiques qu'avec les assises daniennes sous-jacentes.
La faune de ces assises inférieures est aussi
très différente de celle du Nord; rien de semblable, par exemple; aux
espèces contenues dans les sables de Bracheux, ne s'observe dans ces couches
de passage qui s'introduisent entre le Crétacé
et le Cénozoïque.
Dans le Nord, les
phénomènes de discordance et de transgression
qui se présentent si bien accusés entre les sables de Bracheux et les
derniers couches daniennes correspondent à une lacune comblée, dans le
Midi, par les couches de passage, Ă faune mixte de l'Istrie et de la Dalmatie.
Telles sont les lignites à grandes cyrènes (C. grandis, Unio decipiens)
des environs de Budapest
en Hongrie et ceux si largement exploités sur
toute la cĂ´te Nord-Est de l'Adriatique oĂą ces formations ne se distinguent
de celles également lignitifères du Danien que
par l'absence de barres à rudistes, jointe à la présence de Foraminifères
cénozoïques (Quinqueloculina, Triloculina) et de Gastéropodes
éocènes (Cerithium nudum, Cyclostoma Arnouldi) qui ne se présentent
que plus tard dans les assises de calcaire grossier du Nord. Dans les dépôts
franchement marins où dominent les calcaires nummulitiques, à côté
d'un grand nombre d'espèces propres à ces régions méridionales, des
Ovules, des Rostellaires, des Natices de grande taille, comme on n'en voit
actuellement que dans les mers tropicales, attestent une faune de mer chaude;
en même temps on y remarque un grand nombre d'Oursins également spéciaux,
parmi lesquels deux types seuls, Echinolampas, Echinanthus, passent dans
le Bassin parisien. Les espèces communes avec l'Eocène des régions septentrionales
ne manquent pas; mais, parmi ces dernières, il en est qui, au lieu de
rester cantonnées dans un horizon déterminé, ont une longévité plus
grande; telle est, en particulier, la Nerita (Valetes) Schmideliana qui,
au lieu de rester localisée dans les sables sparnaciens, à Nummulites
planulata comme dans le Bassin parisien, se poursuit, en atteignant des
dimensions exceptionnelles, jusqu'au sommet de l'Eocène, dans les calcaires
noirs célèbres de Ronca (Vicentin).
On ne peut ensuite
passer sous silence la part considérable prise par les Foraminifères
dans la formation de ces calcaires; à côté des couches constituées,
par une accumulation d'espèces de grande taille fournies par les Nummulites,
les Orthophragmina (Orbitoïdes) et les Alvéolines, il en est des bancs
entiers presque uniquement formés par les minces et microscopiques coquilles
des Millioles (Pentellina, Trillina, Heterellina, Biloculina, Triloculina,
etc.), associées à de nombreuses espèces de Globigérines,
d'Orbulines, de Textilaires et de Rotalines. Etant donnée la grande place
tenue par ces derniers Foraminifères et ce qu'on sait de leur distribution
dans les sédiments des mers profondes actuelles, on serait tenté d'attribuer
ces calcaires à des dépôts comparables aux boues à globigésines. Or
on sait qu'il n'en est rien et que ces calcaires se sont formés, à des
profondeurs faibles, dans des mers très étendues sans doute, mais continentales;
la preuve en est fournie par ce fait qu'on y rencontre, Ă tous les niveaux,
un grand développement d'Algues calcaires (Lithothamnium)
et bien souvent des Polypiers qui, dans les parties hautes de cette remarquable
série (Eocène supérieur du Vicentin), ont pris un caractère qu'on peut
presque qualifier de coralligène. Dans les seuls calcaires à grandes
nummulites de San Giovanni Hilarione (Vicentin), ces polypiers ne comptent
pas moins de trente à trente-cinq genres, représentés surtout par le
grand groupe des Hexactiniaires.
Quant aux Nummulites,
leur nombre est si grand et leur évolution a été si rapide qu'elles
deviennent, pour la détermination des divers horizons fossilifères et
leur groupement en étages, le guide le plus sûr. (Ch. Vélain). |
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