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Les projections
cartographiques sont des méthodes utilisées
pour représenter la surface tridimensionnelle de la Terre sur une surface
plane, telle qu'une carte. Étant donné que la Terre est une sphère,
il est impossible de représenter sans déformation toute sa surface sur
une feuille de papier plate ou un écran d'ordinateur. Par conséquent,
les projections cartographiques introduisent des distorsions dans la représentation
de la Terre. Le choix de la projection est déterminé par le genre de
distorsion que l'on est prêt à accepter en fonction de l'usage qui sera
fait de la carte ou de l'échelle de celle-ci. Parmi les principales projections
cartographiques, on mentionnera :
• La
projection de Mercator est une projection cylindrique. Elle conserve
les formes et les angles, mais provoque une distorsion de la taille des
objets à mesure que l'on s'éloigne de l'équateur. Elle est souvent utilisée
pour les cartes marines et les cartes du monde.
• La projection
de Lambert est une projection conique. Elle conserve les aires, mais
provoque des distorsions des formes et des distances. Elle est utilisée
pour les cartes régionales et les cartes topographiques.
• La projection
de Robinson est une projection pseudo-cylindrique. Elle vise à équilibrer
les distorsions entre les formes, les distances et les aires. Elle est
couramment utilisée pour les cartes du monde.
• La projection
de Mollweide est une projection équivalente. Elle conserve les
aires, mais provoque des distorsions des formes et des angles. Elle est
souvent utilisée pour les cartes mondiales et les cartes thématiques.
• La projection
de Gall-Peters est une autre projection équivalente. Elle met l'accent
sur la préservation des aires, ce qui entraîne une déformation importante
des formes, en particulier aux hautes latitudes. Elle est utilisée pour
les cartes qui mettent l'accent sur les aspects sociaux et politiques du
monde.
• La projection
de Spilhaus est une projection cartographique unique, développée
par Athelstan Spilhaus dans les années 1940, et conçue pour minimiser
la distorsion des océans au détriment des terres. Elle est généralement
centrée sur l'antipode d'un point terrestre, souvent le pôle Sud, ce
qui permet de représenter la majeure partie des océans du monde de manière
continue et sans interruption majeure causée par les continents. Cette
projection est particulièrement utile pour visualiser les données océanographiques,
les courants marins, la répartition des espèces marines, ou tout autre
phénomène global lié aux océans.
Histoire.
L'histoire des projections
cartographiques est intimement liée à l'histoire de la cartographie elle-même,
née du désir et de la nécessité de représenter la surface courbe et
tridimensionnelle de la Terre sur une surface plane et bidimensionnelle.
Ce processus pose un défi fondamental : la distorsion est inévitable.
Il est impossible de déplier une sphère parfaite sans étirer ou comprimer
certaines parties, altérant ainsi les formes, les surfaces, les distances
ou les angles. Les projections cartographiques sont les méthodes mathématiques
utilisées pour transférer les coordonnées géographiques (latitude et
longitude) d'un point sur la sphère ou l'ellipsoïde terrestre vers un
point sur une surface plane. L'histoire de ces méthodes est une quête
continue pour gérer cette distorsion, en la minimisant ou en la concentrant
dans des zones spécifiques, en fonction du but de la carte.
Les premières tentatives
connues de création de grilles de coordonnées datent de la Grèce antique.
Les philosophes et géographes grecs, qui avaient compris la sphéricité
de la Terre, ont été les premiers à conceptualiser l'idée d'une grille
mathématique pour localiser des points. Hipparque
de Nicée (IIe siècle av. JC), qui
développé les concepts de latitude et de longitude, est généralement
cité comme un précurseur. Cependant, c'est Claude
Ptolémée, au IIe siècle après JC,
dont la Géographie a eu l'impact le plus durable. Il y décrivait
des méthodes pour dessiner des cartes, proposant notamment deux projections
pour les cartes du monde habité connu (l'oekoumène) : une projection
conique simple et une projection pseudocylindrique (parfois appelée projection
de Ptolémée). Ces projections utilisaient des lignes de latitude parallèles
et des méridiens convergents, et tentaient de représenter la courbure
de la Terre de manière plus fidèle que les simples cartes planes antérieures.
Son travail, perdu en Europe occidentale pendant le Moyen Âge, fut préservé
et étudié dans le monde arabe, influençant
des cartographes comme Al Idrissi au XIIe
siècle.
Le Moyen Âge en
Europe a vu peu de progrès significatifs dans les projections mathématiques,
les cartes étant souvent plus schématiques ou basées sur des traditions
religieuses (comme les cartes T-O). Cependant, la transmission et la redécouverte
des textes de Ptolémée durant la Renaissance
ont revitalisé l'approche mathématique de la cartographie en Europe Ã
partir du XVe siècle.
L'ère des Grandes
Découvertes a constitué un moteur majeur pour le développement de
nouvelles projections. Avec l'augmentation des voyages maritimes sur de
longues distances, le besoin de cartes précises pour la navigation est
devenu essentiel. La projection de Ptolémée, bien qu'utile, ne répondait
pas pleinement aux exigences de la navigation en haute mer. Le problème
principal était que les lignes de cap constant (loxodromies ou rhumbs)
n'apparaissaient pas comme des lignes droites. C'est dans ce contexte qu'est
apparue la projection la plus célèbre et la plus influente de l'histoire
: la projection de Mercator, créée par Gerardus
Mercator en 1569. Sa projection est une projection cylindrique conforme,
ce qui signifie qu'elle préserve les angles locaux. Son trait de génie
a été de faire apparaître les loxodromies comme des lignes droites,
ce qui la rendait extraordinairement utile pour la navigation. En revanche,
cette conformité a un coût : une distorsion des surfaces et des formes
qui augmente considérablement à mesure que l'on s'éloigne de l'équateur,
donnant l'impression que les régions polaires sont beaucoup plus grandes
qu'elles ne le sont en réalité. Malgré cette distorsion de surface,
son utilité pratique pour la navigation a assuré sa domination pendant
des siècles.
Après Mercator,
le développement des projections s'est poursuivi, alimenté par les progrès
des mathématiques et le besoin de
cartes pour d'autres usages que la navigation. Les XVIIe
et XVIIIe siècles ont vu l'émergence
de nouvelles projections visant à préserver d'autres propriétés ou
à optimiser la représentation pour des zones spécifiques. Johann
Heinrich Lambert, au XVIIIe siècle,
fut particulièrement prolifique. Il adéveloppé plusieurs projections
fondamentales, notamment la projection conique conforme de Lambert (excellente
pour les cartes de pays de moyenne latitude comme les États-Unis ou la
France) et la projection azimutale équivalente de Lambert (qui préserve
les surfaces, couramment utilisée pour des cartes thématiques ou des
représentations polaires). D'autres mathématiciens comme Euler
ou Lagrange ont également étudié les propriétés
des projections.
Le XIXe
siècle a vu une systématisation accrue de l'étude des projections. Les
cartographes ont mieux compris et classifié les propriétés des projections
: conformité (préservation des angles), équivalence (préservation des
surfaces) et équidistance (préservation des distances, généralement
à partir d'un ou deux points, ou le long de certaines lignes). Il devint
clair qu'aucune projection ne pouvait préserver simultanément toutes
ces propriétés pour l'ensemble du globe. Le choix d'une projection dépendait
donc d'un compromis et de l'objectif de la carte. De nouvelles projections
"compromis" ont été développées, tentant de trouver un équilibre entre
différentes formes de distorsion, comme la projection de Mollweide
(équivalente) ou divers types de projections pseudo-cylindriques ou pseudo-coniques.
Le XXe
siècle a vu l'application des projections à de nouvelles échelles et
pour de nouveaux usages. Le développement de la photographie aérienne
et de la télédétection a nécessité des projections adaptées. L'élaboration
de systèmes de grille normalisés pour le monde entier à des fins militaires
et civiles, comme le système UTM (Universal Transverse Mercator), basé
sur une série de projections cylindriques transverses de Mercator appliquées
par zones, a révolutionné la cartographie à grande échelle. L'utilisation
croissante de cartes thématiques (montrant la répartition d'un phénomène)
a rendu les projections équivalentes (qui préservent les surfaces) particulièrement
importantes pour éviter de donner une fausse impression de densité dans
les zones à forte distorsion de surface. La fin du XXe
siècle a également vu un débat public sur les projections et leur potentiel
biais, notamment avec la promotion de la projection de Gall-Peters (une
projection cylindrique équivalente datant du XIXe
siècle, popularisée par Arno Peters) comme alternative 'plus juste' Ã
Mercator, soulignant l'importance du choix de la projection dans la perception
du monde.
Aujourd'hui, l'ère
numérique et les Systèmes d'Information Géographique (SIG) ont mis Ã
la disposition des cartographes et du grand public une multitude de projections.
Le choix d'une projection est géré par le logiciel, bien que la compréhension
de ses propriétés reste essentielle pour une utilisation correcte des
données spatiales. De nouvelles projections continuent d'être développées
pour des besoins spécifiques, qu'il s'agisse de représenter des données
sur internet (où la projection Web Mercator, une variante de Mercator,
est omniprésente malgré ses défauts pour l'analyse spatiale) ou de créer
des cartes esthétiquement ou thématiquement optimisées. |
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